• STORY BY WAAW #2

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Avec ses cheveux rouges qui flottent devant ses yeux, on dirait qu'elle bat le rythme des basses assourdissantes qui envahissent l'espace. J'essaie vraiment de l'écouter, je tends l'oreille et je me concentre sur les mouvements de ses lèvres, mais la musique est tellement forte, la foule qui gueule et danse prend toute la place autour de nous et Ariane commence clairement à être un peu saoule. Je lui fais répéter une phrase sur deux, mais elle est tellement embarquée dans son monologue qu'elle ne réalise pas que je ne comprends pas la moitié de ce qu'elle raconte.
Ça fait une heure qu'on est arrivées ici et j'en ai déjà marre, trop de monde, trop de bruit, vraiment pas l'endroit idéal pour avoir une conversation. Mais elle m'a fait tellement de peine quand je l'ai vue à la terrasse du WAAW une fois de plus, les yeux noyés dans sa bière, à sursauter à chaque silhouette qui passe pour aussitôt replonger dans son apathie. Ça fait plus d'une semaine que je la vois comme ça, seule, à attendre quelque chose ou quelqu'un qui n'arrive jamais.


Moi, le WAAW, j'y vais tous les jours en sortant du boulot, c'est mon break avant de retrouver la solitude de mon studio sur le cours Ju. En général j'y retrouve mes potes, mais là tout le monde est parti en vacances, alors au bout de plusieurs jours à boire seule à une table à côté de la sienne, j'ai pensé que c'était trop con de ne pas lui parler. Je l'ai abordée en parlant tatoo, son coquelicot géant est magnifique et je vais chez Les Suzzies à la fin de la semaine pour recouvrir le nom de mon ex avec une de leurs créations. Elle a mis le temps à connecter avec moi mais on a fini par sympathiser, et de bière en bière j'ai compris que c'était un mec qu'elle attendait là tous les jours. Un mec qu'elle cherche partout et qu'elle espère voir repasser ici, où lui-même a essayé de la retrouver quelques semaines plus tôt. En 2018, avec les réseaux sociaux, c'est dingue de penser qu'on peut encore galérer à retrouver quelqu'un. Ou rassurant, peut-être, je ne sais pas. En tout cas elle me sort une liste de lieux marseillais que le nouveau serveur lui a donné, en me disant que tous les soirs elle en essaye un différent en espérant tomber sur lui, Icare, qui zone dans Marseille avec la même liste. Un genre de chasse aux trésors, quoi. C'est là qu'on pense au toit-terrasse de la Friche, et que je lui dis que ça nous ferait du bien de bouger d'ici et de se changer les idées avec du bon son.


Alors nous voilà ici, quelques bières plus tard, et je regrette carrément d'avoir eu cette idée. Pas de trace du fameux Icare, j'ai le crâne en bouillie avec ces basses trop fortes, et Ariane de plus en plus bourrée n'est pas très loin de fondre en larmes. C'est évidemment là qu'un gros relou choisit son moment pour venir tranquillement lui passer le bras autour des épaules en lui débitant des obscénités dans un anglais alourdi par l'alcool. Ariane part au quart de tour et j'ai vraiment l'impression qu'elle va lui mettre un pain, je la prends par les épaules et je la force à s'éloigner, l'abruti commence à nous insulter et on se retrouve toutes les deux à dévaler les marches pour atteindre la sortie, la rue, et le silence, enfin.
Je l'entraîne en direction du Couvent où je sais qu'on sera plus au calme. Elle, elle continue son récit, elle n'a toujours pas compris que j'ai raté le début. Une histoire d'aéroport deux ans plus tôt, ils se seraient croisés en transit à Paris un jour de grève et auraient passé près de douze heures à se raconter leurs vies en attendant leurs vols respectifs. Connection directe, max de barres de réseau. Au point que lui, Icare, ne réalise qu'il doit embarquer qu'au moment où son nom est appelé en urgence par le haut-parleur, et il se retrouve à courir en la plantant là sans avoir eu le temps de lui laisser le moindre moyen de le contacter. Et voilà qu'ils se retrouvent sur le Vieux-Port il y a trois semaines et qu'ils se reperdent aussitôt, franchement, je voudrais pas dire mais le destin a parfois un humour plutôt sadique.


On arrive au Couvent et j'espère tellement que la soirée va prendre un tour plus léger. Je vais saluer ma copine Elodie qui bosse là, et je lui présente Ariane de la manière la plus chaleureuse possible, en fait j'espère qu'elles vont entamer la conversation pour qu'Ariane se calme et que je puisse enfin souffler un peu.
Là, je ne suis pas déçue... Le sourire d'Elodie se fige en entendant le prénom d'Ariane, et ses yeux se braquent instantanément sur le coquelicot sur son épaule. Elle la fixe avec un air ébahi et je crois rêver quand je l'entends lui dire :
« C'est incroyable, y'avait un mec ici toute la soirée qui te cherche partout, il vient juste de partir, là, y'a à peine cinq minutes ! »

 

Retrouvez le 3è épisode ICI

 

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