CENDRILLON

Après les inoubliables Le Petit Chaperon Rouge et Pinocchio, Joël Pommerat, maître magicien en illusions théâtrales, nous offre une oeuvre d'anthologie pour petits et grands spectateurs qui longtemps se souviendront de la fée paumée et fragile, d'une Cendrillon frondeuse et mal élevée, de la chaussure de verre étrangement détournée, de l'atmosphère d'inquiétante étrangeté percutée par de sublimes visions et des frissons d'émotions partagées.

L'intelligence de Joël Pommerat c'est de rendre les contes de fées à leur destination originelle : être une boîte à outils poétique pour éclairer et consoler les âmes humaines. Disons-le d'emblée, la Cendrillon réécrite par Joël Pommerat est plus qu'un spectacle. C'est une expérience, une traversée d'un univers mental comme si l'obscur continent de l'inconscient se matérialisait sur le plateau du théâtre.

Et tout le spectacle inscrit dans un contraste tranchant entre le noir absolu et la lumière incandescente ressemble à un rêve, cette activité de notre cerveau qui remixe au creux du sommeil les activités et sentiments éprouvés en veille. Rêve éveillé, parfois cauchemardesque, où tout est étrange, troublant, déstabilisant, vertigineux. Toutes les qualités d'écriture, de mise en scène, d'interprétation qui font la réussite des créations de Joël Pommerat sont ici portées à la perfection pour fabriquer un univers onirique, qui fait plaisir et frémir, rire et pleurer, rager et s'émouvoir. Etrangeté des voix déconnectées des corps qui parlent, jeux de miroirs, ombres flottantes, effets de gros plans, apparitions et disparitions, gags inattendus, détournements sidérants des éléments les plus connus du conte, silences insondables, tout concourt à faire de ce spectacle un puzzle dont les morceaux choisis nous renvoient au conte archi-connu et que pourtant nous découvrons comme entièrement inédit.

La grande affaire de Cendrillon, nous dit Joël Pommerat, c'est la mort. C'est la mort que Joël Pommerat remet au centre du conte écrit à l'origine pour les adultes. C'est plus tard que la morale bourgeoise l'habilla en bluette pour leurrer les enfants. Sauf que le monde de l'enfance est tout sauf une bluette, fait de peurs, de souffrances, d'incompréhension, d'impuissance, de mensonges, de silences, de solitudes, de pertes, de renoncements. De deuils. Et il en est ainsi tout au long d'une vie humaine. Du conte de fée moralisateur, Joël Pommerat glisse vers une parabole vertigineuse sur le comment vivre lorsque la mort vous frôle, comment avoir le désir de vivre si l'on se sent coupable de la mort de sa mère. Histoire initiatique, comme tout un chacun a pu l'éprouver, qui se pose à tous les âges de la vie. Donc à tous les spectateurs enfants et adultes.